Le Plan Gréber

Le rapport commandé par M. Mackenzie-King alors que la Deuxième Guerre mondiale prit fin a décidément laissé sa trace dans la capitale nationale.  Le rapport servit de modèle pour le développement de la capitale pour plus de cinquante ans. 

Fortement inspiré du mouvement modernisme, le plan devait faire d’Ottawa une ville digne « de la grandeur future du Canada ». Son implémentation devait propulser Ottawa dans les hautes sphères du progrès et se devait de corriger les problèmes qui « mettaient en danger ses avantages naturels » (densité trop élevée (!), rail trop présent, quartiers industriels et ouvrier trop visibles). 

Carte de densité d'Ottawa-Gatineau en 1950. Extrait du Rapport Gréber.

Avec du recul, force est de constater que certains éléments au cœur du plan Gréber ont causé plus de tort que de bien. On pense ici à la démolition des plaines Lebreton, l’élaboration des grands axes routiers tel que rue Saint-Patrick en basse-ville et de l’avenue King-Edward et la décentralisation des centres d’emplois fédéraux.  D’un autre côté, la ceinture de verdure, le parc de la Gatineau font partie des éléments qui furent bénéfiques pour les résidents d’Ottawa-Gatineau.

Mise en contexte

C’est en 1937 que Jacques Gréber reçut un premier mandat de M. Mackenzie King : il devait trouver un emplacement au monument commémoratif pour la Première Guerre mondiale.  Gréber qui favorisait le parc Major’s Hill fut convaincu (forcé?) que le carré Connaught devait être l’emplacement choisi pour ériger le monument qui était si cher aux yeux de King. Le « trou » béant en plein cœur du centre-ville causé par les incendies de la Russell House(1928) et de l’hôtel de ville (1931) devient tout d’un coup 4 fois plus grand alors que le sort de l’église Knox, de l’ancien bureau de poste (ainsi que de plusieurs autres bâtiments) était scellé : ils devraient partir afin de ne pas faire ombrage à la magnificence du monument.

En 1938, Gréber fut mandaté pour élaborer ce qui devint 12 ans plus tard, le fameux plan Gréber.  La Deuxième Guerre mondiale mit un frein à son élaboration, mais en 1945, Mackenzie King contacta à nouveau Gréber afin de mettre en branle la machine et de pondre le plan si cher aux yeux du premier ministre. 

À l’époque, le gouvernement fédéral jonglait avec l’idée de créer un district fédéral, un peu à l’image de Washington D.C..  De son propre aveu, les propositions de Gréber allaient strictement se limiter aux problèmes urbanistiques qui constituaient le cœur de son expertise.

Puisque Jacques Gréber n’était jamais venu à Ottawa, Travaux publics Canada pris de charge de photographier la quasi-totalité des intersections du centre-ville d’Ottawa afin de mettre Gréber au parfum et de le plonger dans l’atmosphère ottavienne.  C’est d’ailleurs pour cette raison qu’une grande partie des photos d’archives présentées sur Ottawa passé & présent datent de 1938. 

Ironiquement, Mackenzie King ne vit jamais le rapport en soi puisqu’il mourut deux ans avant que le rapport final fût déposé.

Influences

Le modernisme est décidément présent dans l’ensemble du Rapport Gréber.  Écrit quelques années après l’élaboration de la Charte d’Athènes, qui avait été commandité par les constructeurs automobiles de l’époque, Gréber s’inspira de nombreux concepts propres à la « ville fonctionnelle » : priorité absolue pour l’automobile, verdissement des aires urbaines et ségrégation des usages.    

Contenu du rapport

Le rapport était divisé en 4 sections :

  • Enquête documentaire : état des lieux, climat, végétations, hydrographie, etc.
  • Justification du Projet
  • Étapes d’exécution
  • Recommandations générales

Malgré que le rapport fasse état des origines plutôt industrielles (bois) des villes d’Ottawa et de Hull, les industries semblent être une des cibles principales du rapport :  selon Gréber, il est impensable que la capitale d’un pays avec de telles aspirations puisse avoir en son territoire, du moins en son centre, une fibre industrielle développée.  On regardait vers le futur et Ottawa se devait de personnifier un état fédéré  fort ainsi que des institutions fortes ce qui laissa peu de place à d’autres pôles d’emplois; les industries déjà en place devront alors être relocalisées.  C’est principalement pour cette raison qu’Ottawa ne possèdent presque plus de bâtiments patrimoniaux de type industrielle contrairement à bien d’autres villes nord-américaines.

Du côté transport, l’automobile est bel et bien au centre des priorités.  Le rapport avance : « Il est de toute évidence que la largeur et le profil transversal d’une voie publique doivent être étudié en fonction de la circulation. »(P.176).  On propose, en autre, l’élargissement « préventif » de nombreuses artères principales (Waller, King-Edward, York, Laurier, etc).  Toujours selon le rapport, cette opération se financera d’elle-même vu que l’augmentation de la valeur foncière des lots aux abords de ses routes conséquence des élargissements proposés.  Quarante ans plus tard, nous sommes obligés de constater que le contraire s’est malheureusement produit et que la valeur des habitations le long de King-Edward a périclité.  Après tout, qui veut vraiment vivre le long d’un boulevard à 8 voies?

Réseau de transport proposé dans le rapport Gréber pour la région d'Ottawa-Gatineau. Extrait du Rapport Gréber.

Le rapport se veut aussi extrêmement complaisant alors qu’il qualifie de « vétustes  ou peu importants » (P.179) les immeubles qui devront être démolis pour satisfaire les obsessions automobiles de Gréber.  Rappelons-nous que les appartements Roxborough, Bates ainsi que l’ancien Bureau de poste ont été sacrifiés exactement pour cette raison. 

Le remplacement des lignes du Canadien-National qui traversaient d’est en ouest la ville devait être remplacé par un « nouveau boulevard ».  La ville fut contrainte à construire une autoroute puisque le financement provincial était conditionnel à la construction ce type d’infrastructure.

Le rapport propose aussi réduire au maximum le stationnement sur rue afin que « les voitures en stationnement n’encombrent pas les lignes de circulation ».  C’est ainsi que l’on suggère de multiplier les stationnements en retrait de la rue.  Pour se faire, on doit tirer avantage du relief et tenter de construire le « plus grand nombre possible » de garages étagés.  Encore une fois, le rapport fait faux bond puisqu’il a été prouvé que les stationnements hors rue sont un obstacle à l’obtention de communautés vibrantes et durables.  

Du côté de l’aménagement urbain, le plan mentionne la nécessité d’une ceinture rurale (la ceinture de verdure) afin de protéger la périphérie contre tout lotissement indésirable ou linéaire.  L’idée en soi est excellente, mais s’est rapidement butée au problème de compétition que les villes en périphérie (Orléans, Kanata et Barrhaven) livraient à la ville centre afin d’attirer résidents et industries.  Si l’élaboration de la ceinture verte avait été faite de concert avec une politique d’agglomération des villes satellites, le résultat aurait certainement été différent.

Le modernisme est omniprésent dans les analyses et constats alors qu’il qualifie « d’anormale, sinon absurde, de construire des immeubles collectifs de 4, 5 ou 6 étages, parfois davantage, en bordure des rues (souvent à l’intersection des rues) et sans jardin ».  Ce constat ne fait d’ailleurs aucun sens puisque son application ne ferait que diluer la densité ponctuelle que génèrent ces immeubles collectifs et ainsi augmenter les distances à parcourir pour ses résidents afin de se procurer des services de base. 

Maquette de l'Hôtel de ville d'Ottawa près du parc de la Confédération. Extrait du Rapport Gréber.

Gréber invoque aussi le désordre dans lequel les villes ont grandi et se sont développées sans directives et sans contrôle; comme si une croissance organique émanant de besoins réels ne produisait que le chaos et que la seule voie à emprunter pour croître est une réglementation stricte et rigide.   

Le rapport enchaîne ensuite avec une série de recommandations sur les endroits à favoriser pour la construction de divers immeubles administratifs.  Par exemple, le Ministère des Affaires des anciens combattants devrait être construit sur 2 îlots entre Kent et Bay sur la rue Wellington et  l’imprimerie nationale devrait être déménagée en sol québécois.

L’absence d’un « théâtre national » est mentionnée.  On recommande la construction d’un théâtre de 2500 places sur la rue Elgin là où le CNA est maintenant construit.  

En terme de transports en commun, le rapport incite les autorités à remplacer les lignes de tramways qui, selon Gréber, ne font que ralentir la circulation et accentuer la congestion.  C’était dans l’air du temps, on peut y lire (encore une fois, dans la plus grande des complaisances) : « Cette transformation est inéluctable.  Les tramways, les rails et les trolleys aériens disparaissent de toutes les villes qui achèvent leur aménagement. »  Rappelons que la ville de Toronto possède toujours un système de tramways en son centre-ville.

Le rapport recommande l’établissement d’un réseau de verdure qui délimiterait chacune des communautés/villages de la zone urbanisée.  La rivière des Outaouais, Rideau et le canal Rideau devront  être bordés de promenades bucoliques.  Rappelons que la CCN est en train de revoir son plan d’aménagement pour ces parcs et promenades qui constitue en quelques sortes un désaveu envers les politiques proposés (et malheureusement implémentées) dans le plan Gréber.

Maquette du secteur Lees. Extrait du Rapport Gréber.

Conclusion

Le plan a été mis sur pied à un bien mauvais moment : l’automobile transpirait le progrès et ce sont sur ces fondements que le plan fût élaboré.  Gréber ne doit pas être blâmé pour ces recommandations, c’était dans l’air du temps.

Le plan Gréber a décidément laissé sa marque dans la capitale fédérale, contrairement aux autres plans directeurs qui l’ont précédé (rapport Holt, rapport Cauchon) et qui n’ont pas pu passer en phase d’implémentation.  On aurait souhaité le même sort pour le rapport Gréber.

Après tout, Gréber s’est réellement trompé sur l’estimée de croissance de population de la région, qu’il estimait à 400 000 au tournant des années 2000. Se pourrait-il qu’il se soit trompé à bien d’autres égards?

Le rapport original

Le rapport original peut être consulté sous forme PDF ici:

Projet d'aménagement de la capitale nationale - Rapport Général de 1950

Une version web aussi existe ici:

Projet d'aménagement de la capitale nationale - Rapport Général de 1950
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